Le Nouvel Observateur.
Supplément Paris-Ile de France du 25 avril au 1er mai 2002
p.16 et 17
Profession : redresseur d’enquête, par Laurence Moatti Neuer
Roger-Marc
Moreau est le Zorro de la profession, l'idole des comités de soutien ou
des associations de défense, le justicier de la dernière chance. Balade
sur les pas de cet expert filochard au service de la vérité vraie. Ici,
à Melun, sur le bord d’une voie ferrée longeant la forêt de
Fontainebleau (Seine-et-Marne). Et post mortem.
La contre-enquête, c’est « faire l’enquête que la police
n’a pas faite »
Le
29 mars 2002. La Rochette, un quartier de Melun (Seine-et-Marne). En cette
fin d'après-midi printanier, le détective Roger-Marc Moreau visite les
lieux de sa prochaine enquête. Le bord d'une voie ferrée longeant la forêt
de Fontainebleau près d'un passage à niveau, à quelques kilomètres de
la gare de Melun. C'est à cet endroit que le corps de François a été découvert,
inanimé, vers 18 h 30, le27 mai 1997. Signalé par deux voyageurs d'un
train circulant sur cette voie. François, qui venait de fêter ses 18
ans, était mort depuis une douzaine d'heures, révèlera le médecin légiste.
L'enquête est vite bouclée par le commissariat de Dammarie-les-Lys et
classée par le procureur : le jeune homme s'est suicidé en se jetant
sous un train de marchandises un peu avant 4 heures du matin. Pour
Mireille et Bernard, les parents de François, cette version des faits est
inconcevable. « François était un élève brillant, s'apprêtait à
passer son bac et voulait devenir chirurgien, c'était le sourire
permanent », assure son père. Pour réactiver la machine judiciaire,
les parents portent plainte pour homicide et se constituent partie civile.
Un comité de soutien et une association se créent, relayés par un site
internet: perso. wanadoo.fr/comite.francois .fr. htm Le dossier va
jusqu'à la chambre d'accusation, mais se solde par un échec, en décembre
2001.
Désespérés, Mireille et
Bernard savent qu'ils n'ont plus rien à perdre, d'autant que leur second
fils les a quittés un an après la mort de François. Ils font appel à
Roger-Marc Moreau, « leur dernier recours, leur ultime secours »,
confessent-ils. Très vite, le détective leur annonce qu'il accepte le
dossier, truffé selon lui d'« anomalies troublantes auxquelles la
justice est restée indifférente ».
L'homicide, c'est sur cette piste qu'il s'orientera mais il reste prudent.
« Je n'exclurai pas l'hypothèse du suicide, et je ne suis pas un
faiseur de miracles », avait averti l'enquêteur. Dignes et
responsables, Bernard et Mireille s'associent à ce combat, « quelle
qu'en soit l'issue ». Car ce qu'ils veulent, c'est « la
vérité »…
Comment le roi de la
contre-enquête pénale va-t-il procéder pour identifier d'éventuels
coupables? « En faisant l'enquête que la police n'a pas faite. »
Certaines anomalies sont flagrantes. « Comment peut-on se jeter d'un
train sans avoir le visage arraché, les vêtements déchirés et les
chaussettes tachées ? Comment se fait-il qu'aucun train de passage
n'ait signalé l'existence du corps qui aurait séjourné 14 heures
sur le ballast, en plein champ de vision ? Comment se fait-il que
les conducteurs du train censé l'avoir percuté n'ont rien vu lorsqu'ils
se sont arrêtés? », s'interroge Roger-Marc.
Même lui, le détective
passe-muraille, a été repéré, ce 29 mars2002, par un conducteur
inquiet ayant rapidement alerté les services de sécurité que des « personnes
imprudentes longeaient la voie ferrée sans gilet de reconnaissance »…
D'autres détails sont tout
aussi troublants. Une chaussure tranchée en deux et l'autre disparue, ses
affaires personnelles dispersées sur le ballast, ses clés disparues, son
agenda électronique égaré par la police, mais, aussi, cette pièce qui
a été évincée du dossier: une feuille de papier blanc, retrouvée dans
la chambre de François, sur laquelle était esquissé le schéma d'un
trafic de cannabis, avec des prix, des dates et des lieux. Roger-Marc va
tirer de cette « pièce essentielle » les leçons qui s'imposent
à la lumière d'un « événement capital » qui a immédiatement
été étouffé. François avait été surpris, quelques jours avant sa
mort, en train de fumer du cannabis avec quelques amis. Ces mêmes amis
qui étaient pris de panique à l'annonce de sa disparition soudaine, le
jour de sa mort. L'objectif de l'enquête est clair : il s'agit de faire
le lien si lien il y a -
entre la mort de François et l'existence d'un trafic de drogue. Passer de
la thèse du suicide à celle du règlement de comptes sur fond de
cannabis nécessitera un gros travail d'investigation. « Mon rôle va
consister à entendre tous ceux qui ont fréquenté de près ou de loin
François, même s'ils ont déjà été entendus par les services de
police. » Car, pour Roger-Marc, le temps peut devenir un allié. « Ces
jeunes sont désormais dispersés et détachés de leur environnement
scolaire, ils ne risquent plus de passer pour des
""balances" et n 'ont, par conséquent, aucune raison de
taire la vérité. »
Stéphane ne s'attendait pas
à recevoir la visite de celui qui lui présente sa carte d' « agent privé
de recherches », à 15 heures, ce vendredi 5 avril. Séparé de
Roger-Marc par la barrière de son pavillon, il n'hésite pas à faire des
« révélations qu'il n'aurait pas faites à l'époque ».
D'abord, il ne croit pas au suicide. « François était jovial, il
plaisantait toujours. » Puis il confirme l'existence d'un trafic de
cannabis au lycée, impliquant un certain nombre de jeunes mais passé
sous silence par les autorités administratives. Roger-Marc l'écoute,
fronçant les sourcils à chaque frôlement de vérité. Les autres
membres de la joyeuse bande seront entendus plus tard. Mais dans un délai
assez rapproché. « Car, cette fois, le temps peut jouer contre nous »,
admet l'enquêteur.
Le limier fera aussi procéder
à des contre-expertises scientifiques qui vont « jeter un regard
critique sur les circonstances de l'accident et sur cette marque le long
du cou, d'origine inexpliquée ». A l'issue de son enquête, et « si
nous disposons d'e1éments suffisamment pertinents pour remettre en
question la thèse judiciaire », le détective déploiera la batterie
lourde: la réouverture du dossier judiciaire et la saisine de la
Direction des Affaires criminelles. Objectif ? « Mettre
l'administration devant ses responsabilités. » Et aider ainsi des
parents désemparés à entamer leur travail de deuil.
.L. M. N. |