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Étrange «
suicide » d'un lycéen
Les mystères
du train de nuit
Depuis qu'on a retrouvé le corps de leur
fils de 18 ans, les parents de François se battent pour connaître,
enfin, la vérité
C'était il y a deux ans et demi
déjà, un soir de mai. Il était 18h30 et deux voyageurs assis dans le même
train avaient donné l'alerte : ils avaient vu un corps sur le ballast, au
bord de la voie ferrée, près de Melun. Un garçon de 18 ans, révéleront
les papiers dénichés dans un sac à dos retrouvé près du corps. Son
nom : François Therrié. Mort sans qu'on sache trop pourquoi. Son visage,
ses pieds, ses mains sont intacts. Il a quelques marques sur le corps,
mais ses vêtements ne sont pas déchirés. On ne détectera aucune
fracture du crâne lors de l'autopsie qui sera pratiquée plus tard. Juste
un peu d'alcool dans le sang, mais pas de quoi faire réagir un Alcootest.
On s'apercevra aussi, plus tard, que manquent les clés de sa maison et le
petit anneau d'argent que François portait d'habitude à l'oreille, ainsi
que l'une de ses chaussures. L'enquête sera vite bouclée par le
commissariat de Montgeron, où habitait la famille de François. La
conviction des policiers est vite faite. Et le 4 septembre suivant, le
substitut du procureur déclare qu'il s'agit d'un suicide, que le jeune
homme s'est jeté sous un train de marchandises et classe l'affaire. Les
parents, enseignants, ne comprennent pas pourquoi l'enquête s'est orientée
de cette façon. Suicidé, leur fils ? Mais pourquoi ? Il n'a laissé
aucun mot qui pourrait expliquer un tel geste. C'était un élève
brillant de terminale qui avait des projets d'avenir : il voulait faire médecine.
Il s'entendait bien avec ses parents, faisait de la musique et n'avait
jamais manifesté le moindre signe de déprime. Bon, il avait eu un problème
récemment au lycée de Montgeron. Il avait été surpris quelques jours
plus tôt en train de fumer du cannabis en compagnie de quelques camarades
et d'un nommé « Goofy » qui avait apporté l'herbe, un jeune qui n'était
pas du lycée et qui s'était éclipsé. François, comme trois de ses
camarades dont la fille du proviseur , a été entendu par une
commission interne du lycée. Il l'a dit de lui-même deux jours plus tard
à son père. Alors, que s'est-il vraiment passé au cours de cette journée
du 27 mai 1997 ? Pour la police, qui a exhumé dans un agenda de l'année
précédente un texte où François, sur une page, traite de la mort, le
garçon avait des idées noires. Un point, c'est tout. « Je me souviens,
raconte sa mère, de l'interrogatoire qu'on m'a fait subir au lendemain du
jour où j'ai appris la mort de mon fils. J'étais bouleversée, prise
dans un tourbillon, j'aurais pu dire n'importe quoi. On m'a interrogée
sur les tendances morbides qu'il aurait pu avoir. L'interrogatoire s'est
arrêté là. On n'a jamais examiné la thèse de l'accident, ni celle du
meurtre... » Quand le procureur leur dit qu'il classe l'affaire, que
c'est un suicide, les parents se révoltent. Ils portent plainte pour
homicide de façon à obliger la justice à réactiver l'enquête. Parce
qu'entre-temps eux, les parents, ont découvert des choses étranges, noté
bien des anomalies. Une au hasard : les enquêteurs affirment que François
s'est jeté du train et a heurté un train de marchandises qui arrivait en
sens inverse à 3h49 du matin. D'ailleurs, les conducteurs du train de
marchandises disent qu'ils ont entendu un bruit étrange sous les essieux.
Ils ont donc arrêté leur train et exploré soigneusement la voie. Sans
rien trouver. Le train suivant, averti de l'incident, a fait le trajet à
toute petite vitesse pour tenter d'apercevoir quelque chose. Rien. Et puis
entre 4 heures du matin et 18h30, heure à laquelle le corps a été découvert,
70 convois sont passés sans rien signaler. Alors que dans le même train
de 18h30, il s'est trouvé deux voyageurs pour voir le corps de François,
bien en évidence sur le ballast. Pourquoi tous les autres voyageurs, tous
les autres conducteurs ont-ils été frappés de cécité ? Mystère. A
moins que le corps n'ait été déposé que tard dans l'après-midi sur le
ballast. Pourquoi n'a-t-on pas cherché un témoin qui aurait pu voir François
dans son train de nuit ? Inutile, voyons, puisqu'on vous dit qu'il s'est
suicidé... Mais si l'on pense qu'il y a eu meurtre, il faut trouver un
mobile. Or, à tort ou à raison, les parents de François en ont découvert
un. Selon eux, tout serait lié aux petits trafics de drogue qui
tournaient autour du lycée de Montgeron. Par exemple, qui était ce mystérieux
« Goofy », disparu quand François et ses camarades se faisaient pincer
en train de fumer de l'herbe dans l'enceinte du lycée ? Un dealer. On le
découvrira un an plus tard sans que cela réveille l'enquête. Pas plus
que les policiers ne réagiront lorsque les parents de François
retrouveront dans sa chambre un papier où l'on parlait des conditions de
livraison de 10 kilos de cannabis, ce qui n'avait plus rien à voir avec
un trafic de cour de récréation. François avait donc connaissance de
trafics importants. A-t-on eu peur qu'il parle ? La piste n'a pas été
suivie. Autre question, concernant cette fois le lycée. Pourquoi le
proviseur, qui partait en retraite cette année-là, n'a-t-il rien voulu
dire aux parents de François sur ce qui s'était passé dans l'enceinte
de son établissement ? Pourquoi le compte-rendu de la commission interne,
qui avait entendu François et ses camarades après leur histoire de
cannabis, a-t-il disparu alors que tous les autres sont disponibles dans
les archives du lycée ? A toutes ces questions les parents de François
ont voulu obtenir des réponses. En vain. L'Education nationale a défendu
avec vigueur son administration, et un inspecteur de la vie scolaire a rédigé
un rapport où il décrit des parents « égarés par la douleur ». En
revanche, du côté de la justice, quelque chose vient de bouger après
deux ans d'immobilisme. Peut-être parce que les parents de François sont
de sacrés emmerdeurs qui ont créé une association le Comité François
, un site internet (1), lancé des pétitions qui ont réuni des
centaines de signatures. Ils viennent d'apprendre que le dossier, qui était
clos, va être transmis à la chambre d'accusation. Un espoir ténu
d'obtenir enfin des réponses aux questions qui les taraudent.
GERARD PETITJEAN
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